Patagonie: Quand le vent s'en mêle

Nous appuyons de toutes nos forces sur les pédales de ce foutu vélo qui n'avance pas plus vite qu'une tortue bourrée. Chaque véhicule qui passe soulève un nuage de poussière que le vent de face incessant nous projette allègrement dessus. Ces minuscules particules s'infiltrent partout: nez, oreilles, yeux, bouche et se déposent sur notre peau laissant une fine couche rugueuse. Et tandis qu'on avale la poussière, nos ventres crient famine: en moins de 30 minutes le petit-déjeuner est déjà digéré. L'énergie qu'on déploie pour avancer à moins de 5 km/h est démesurée. En plus de nous ralentir dans notre progression, le vent joue avec nos nerfs en produisant un bruit infernal et continu dans nos oreilles. On ne peut pas y échapper, pas d'endroit où se cacher, rien que de la pampa à perte de vue. La prochaine "ville" est à 110 km dans l'axe du vent. On se demande comment on en est arrivé là!!??

5 jours plus tôt

Après nos péripéties entre le Maroc et Ushuaia (voir article précédent), tout s'est mis en place comme nous l'imaginions: réparation de la chaîne, repos, provisions. En Patagonie les prix sont excessifs et on a du mal à oublier les délicieux fruits et légumes frais du Maroc à 5 dirhams le kilo!


Le 13 janvier nous partons sur les routes de la Terre de Feu avec un peu d'appréhension, ce sont nos premiers coups de pédale en Amérique du Sud! Le paysage est plus montagneux que ce que nous nous étions imaginé. Les sommets sont recouverts d'une jolie couche de neige, ce qui n'empêche pas la météo d'être excellente. Le vent nous pousse joyeusement dans la bonne direction. Après 30 minutes de route, nous rencontrons Emilio un Chilien et Stephan un Allemand avec qui nous continuons notre trajet jusqu'à la fameuse panaderia de Tolhuin. Emilio (encore un!) le patron est réputé pour accueillir tous les cyclo-touristes qui passent par là, en les nourrissant de délicieuses pâtisseries en plus d'une douche chaude et d'un toit pour la nuit. Nous y rencontrons des Brésiliens, Italiens, Argentins avec qui nous passons de bons moments. On apprend l'existence d'un site web (windguru.cz) qui permet de connaître la direction et la force du vent plusieurs jours à l'avance.


Le lendemain on continue notre périple dans des paysages qui s'aplatissent, se transformant bientôt en vastes étendues de pampa. Accompagnés de nos amis guanaco (cousin du Lama), nous pédalons jusqu'à Rio Grande où nous passons une excellente soirée avec Stephan, Emilio et Nico qui nous héberge pour la nuit. Après 80 km de plus avec le vent de côté, nous arrivons à la frontière Argentine de San Sebastian où les douaniers nous autorisent à dormir dans la salle d'attente. Cette dernière est chaufée, équipée d'une cuisine et d'une douche ce qui nous fait sentir comme à la maison! On s'endort rapidement pour bien affronter les 150 km de piste du lendemain, plein vent de face! Nous pensons avoir assez de provisions mais sommes quand même obligés de cuisiner nos derniers légumes devant la douane chilienne car ils refusent de nous laisser entrer avec des produits frais!


Côté chilien, la route se transforme en piste de mauvaise qualité et le vent devient de plus en plus fort. C’est le début et on est encore plein de bonne volonté et d’énergie dans le but de parcourir les 150 km de vent de face en trois jours.  Mais après une journée entière à pédaler, nous n’avons fait que 37 petits kilomètres. Un peu dépités, on s’arrête près d’une mini-cabane au bord de la route qui nous protège un peu du vent pour la nuit ! On peut enfin tester notre nouvelle tente (souvenez-vous la nôtre a été rendue hors d’usage au Maroc) qui fait un abri parfait ! Le lendemain le vent souffle encore plus fort : 70 km/h en permanence et des rafales encore plus élevées !!! Nous appuyons de toutes nos forces sur les pédales de ce foutu vélo qui n'avance pas plus vite qu'une tortue bourrée…vous connaissez la suite !



Bataille contre le vent

Après seulement 20 km qui en ont paru 100, nous nous arrêtons dans la seconde petite cabane qui est connue pour être un refuge pour les cyclistes. Malheureusement certains automobilistes irrespectueux l’utilisent également comme toilettes…ce qui rend les lieux un peu dégoûtant. Qu’à cela ne tienne, être à l’abri de ce vent nous apporte tout le confort nécessaire ! Différentes inscriptions aux murs nous font voyager avec nos prédécesseurs et nous donnent du courage car d’autres avant nous sont passés par là. On se sent moins fous et moins seuls ! Nous aussi, on met un petit signe de notre passage!


On décide de se coucher tôt pour se lever à 2h du matin pensant que le vent serait moins fort durant la nuit, cela devrait nous permettre de faire les 100 km restant d’une seule traite. En effet, on a plus assez de nourriture ni d’eau pour tenir plus d’un jour. C’était sans compter le cri de joie retentissant à l’extérieur de notre cabane vers 18h, on comprend tout de suite qu’on sera plus que trois cette nuit-là. Un argentin et un brésilien nous rejoignent, nous offrent des pâtes blanches et de la purée ce qui nous semble un met des plus exquis après notre régime de polenta et flocons d’avoine à l’eau ! A 2h du matin, le réveil sonne, on tend l’oreille : le vent souffle toujours aussi fort, idem à 3h, 4h, 5h, 6h… Nous abandonnons notre idée et continuons à dormir. 

Vers 10h, nous discutons avec nos amis d’un soir qui nous conseillent de monter 80 km vers le nord pour rejoindre le village de Cerro Sombrero. Là, un bus moins cher que le bateau, pourrait nous amener à Punta Arenas. De plus, nous pourrions y acheter à manger: ni une, ni deux on change de cap!! À la vitesse de l'éclair, nous roulons avec un fort vent de côté, c'est toujours mieux que de face. La route est en dur, fini la poussière et comble des réjouissances: des français en side-car nous offrent leur nourriture de secours! Les 16 derniers kilomètres nous donnent l'impression de voler car nous avancons à plus de 35km/h sans trop d'efforts. Après une délicieuse douche dans le centre sportif de la ville, on monte notre tente derrière la Municipalidad, le ventre repus!

De Punta Arenas a Puerto Natales

Le lendemain, le bus nous porte là où le bateau aurait dû nous porter: Punta Arenas! Nous sommes hébergés par Jürgen, un ami d'Emilio, qui nous parle avec beaucoup de passion du fameux Parc Naturel "Torres del Paine". Nous hésitions à y aller, cette fois nous sommes convaincus et prenons tous les renseignements pour y faire un trek!

Mais d'abord, il faut rejoindre Puerto Natales, point de départ pour le Parc. Windguru nous informe d'un vent pas trop défavorable, nous mettons l'alarme à 5h du matin et prévoyons une étape un peu folle de 140 km jusqu'à Morro Chico... En chemin nous apperçevons des Ñandu (petites autruches de patagonie) et de magnifiques paysages! La fatigue se fait sentir après 110 km, dont 50 avec le vent de face! Mais nous sommes décidés à aller au bout de cette folie! Lorsqu'on arrive après 10h20 sur le vélo on est crissement décalicé!!! Heureusement un gentil couple d'allemand campe au même endroit que nous et nous offre du chocolat bien réconfortant pour le dessert! 


Entre Morro chico et Puerto Natales nous avons droit à notre première grosse pluie depuis le départ: on peu enfin tester l'impermabilité de nos vêtements Gore-Tex! Tip Top! En Patagonie le temps peut changer rapidement au cours d'une même journée et s'est accompagnés d'un beau soleil, et bien sûr du vent (de côté) que nous continuons notre journée jusqu'à Puerto Natales. On s'installe dans le jardin de la Casa Lili, où on passe nos journées à discuter avec des voyageurs du monde entier et à préparer notre trek de 8 jours aux Torres del Paine. On a aussi eu la chance de retrouver Tim et Sandra, des amis genevois, le temps d'une soirée! Notre ami Emilio, quant à lui, avait déjà visité le Parc il a donc continué sa route vers le Nord.

Parc national: Torres del Paine

C'est le pouce levé à la sortie de la ville de Puerto nNatales, où nous avons laissé nos affaires, que nous attendons. Seulement 20 minutes après, un gentil chilien nous prend et on essaye de tenir la conversation malgré son accent et le bruit des roues sur la piste de cailloux! 2h plus tard et notre vocabulaire espagnol un peu enrichi, on arrive enfin au fameux parc. Chargés de plus de 20 kilos dans nos sacs à dos, nous devrions être autonomes en nourriture pour les 7 jours de trek. Nous parcourons tous les jours environ 20 km dans des paysages à couper le souffle auxquels nous n'aurions pas eu accès à vélo. Pour voir les photos, faites défiler le diaporama ci-dessous!

Nos derniers jours de pampa

De longues journées de 9h ou plus à pédaler dans des paysages beaux, calmes avec la seule présence des Ñandu et des Guanaco. Le temps est au beau fixe, le vent nous freine mais nous commencons à nous habituer à ce dernier. Le soir, nous retrouvons d'autres cyclistes dans les quelques points clés, clairsemant la route: poste de police, poste de travaux des routes, stations essences. Autant de lieux qui font partie des haltes de tout cycliste voyageant sur cette route et désirant dormir en compagnie! 


C'est avec joie que nous arrivons au Parc national Los glaciares en Argentine. La ville principale, El Chalten, est le point de départ pour la mythique Careterra Austral par un périple que nous conterons dans le prochain article! A El Chalten, nous sommes accueillis par Flor dans son humble maison "Casa del ciclista" qui se transforme en rendez-vous de voyageurs à vélo. Il y a peu de place, beaucoup de vie, de chaleur humaine, de partage sous le regard bienveillant de Flor. On en profite pour trekker dans le Parc National et admirer le célèbre Mont Fitz Roy sous un soleil magnifique. 


Anecdotes de voyage

  • En chemin pour El Chalten, nous avons voyagé durant 2 jours avec Leo, un Argentin. Un raccourci de 70km de piste caillouteuse nous fait de l'oeil et nous décidons de l'emprunter. Après 45 km, nous apercevons un point blanc au loin: bizzare il ne devrait rien y avoir avant plusieurs km. En nous approchant, nous nous rendons compte qu'il s'agit d'un pick up blanc sorti de la route. A côté, un homme et une femme d'origine asiatique semblent tous perdus...Ils nous expliquent que le mari s'est endormi au volant et est sorti de la route. La voiture a un pneu crevé et un bout de barrière coincé dans une autre roue. La dame se plaint de fortes douleurs dans le dos. Ni une, ni deux, notre instinct de bons samaritains se met en marche. Tandis qu'Alexi commence son anamnèse, Anysia et Leo organisent la venue des secours. Evidemment, il n'y a pas de réseau et aucune voiture ne passe ici! Heureusement un poste de police est miraculeusement situé à 5km sur cette route déserte: une chance inéspérée! Leo part sans bagage pour avertir la police et demander une ambulance. Quinze minutes plus tard, un policier en pantoufles et habits civils arrive. Avec son pistolet enfoncé à l'arrière de son pantalon, il se met à quatre pattes et commence a changer la roue du véhicule en nous informant que l'ambulance est informée. Pendant 1h, nous discutons avec le couple qui vit en Californie en essayant de les rassurer. Lorsque l'ambulance arrive, deux argentins bedonnants sortent paisiblement, Alexi essaye de faire une remise de patient. L'infirmier très sympathique se montre peu réceptif et pose quelques vagues questions à Madame, à qui il se contente de poser une vieille minerve. Il la fait marcher jusqu'à l'ambulance, où nous découvrons avec stupeur qu'il y a une planche qui aurait été théoriquement bien utile pour ce cas. Le policier ayant fini de mettre la roue de secours remet simplement la voiture sur la route, sans avoir la preuve que la voiture est en bon état de marche. Nos esprits de Suisses sont un peu secoués avec toutes ces imprudences. Tout le monde nous remercie chaleureusement avant de partir. Nous nous retrouvons seuls au milieu de nulle part avec 25 km encore à parcourir et une drôle de sensation! 
  • Si vous pensez que vous êtes trop âgés pour voyager comme nous: c'est faux et nous en avons la preuve! Nous avons rencontré un homme de 75 ans qui voyage à vélo depuis 4 ans et demie. Avec plus de 90'000 km au compteur, il nous a inspiré le plus grand respect. 

Notre itinéraire

Photos

Pour plus de photos rendez-vous dans la galerie :)

Écrire commentaire

Commentaires: 8
  • #1

    Papa Borel (jeudi, 18 février 2016 23:15)

    Quel récit haletant et passionnant.

    Je suis tout soufflé par votre courage.

    Bon vent !!!!

  • #2

    Andreia Samba (samedi, 20 février 2016 13:21)

    Coucou vous!

    J'attendais un nouvel article avec impatience !!! :)

    Ca y est vous êtes en America!!!

    Quelles aventures, vous avez bien fait de changer de cap, trop dur avec le vent! Bravo, continuez encore et encore ! J'espère que vous arriverez au Brésil !

    Un besos amigos !

    Andreia

  • #3

    u Furnarotu (dimanche, 21 février 2016 08:18)

    Apres le trek dans l’Atlas marocain, le vélo sur les pistes venteuses de la pampa, le trek en Patagonie (quelle belle photo de la lagune devant le Fitz Roy) vous voici a Tortel. Magnifique village hors norme, dans un paysage somptueux entouré d’eau. Wahoou !!! Vous nous en mettez plein les yeux, grâce à vous on découvre des lieux splendides. Et vos anecdotes sont toujours tres rigolotes.
    Muchas gracias los aventureros en Pino de Hase con Anguria
    Vuestra aventura es siempre màs emocionante !!!
    Besos

  • #4

    Tant'Sab (dimanche, 21 février 2016 22:09)

    Merci de me faire partager votre voyage, je suis votre route presque chaque jour, et en
    pensée je suis avec vous. Il me semble qu'il y a beaucoup d'eau...et pas de ponts !!
    Comment faites vous? Bonne continuation,me réjouis des prochaines news...que je transmet
    a Grandmaman Nicole! Bonne continuation sabine

  • #5

    MAMMA RUTH (lundi, 22 février 2016 07:08)

    Liebe Velofahrer, ich bin eben nach tortel"geflogen", das siehst ja ganz ungewöhnlich aus! Mit nur ca 500 Einwohner und ohne Strassen! Ich schaue täglich nach wo ihr seid und "fliege" meist schnell hin. In gewissem Sinn reise ich ein bitzteli mit....Ich hoffe es wird alles weitergin gut gehen und ich kann die lustigen Berichte die ihr schreibt lesen. Dicke Küsse an Beide und bis bald!

  • #6

    Elena & Chema (jeudi, 25 février 2016 17:40)

    Wow, fantastic journey through Patagonia, the photos are beautiful, enjoy every moment! ¡Buen viaje!

  • #7

    Sandra et Tim (dimanche, 28 février 2016 23:08)

    C'était super cool de vous (re)voir et c'est toujours un plaisir de vous lire :) bonne continuation en Patagonie.

  • #8

    Jean-Marie (jeudi, 30 août 2018 15:38)

    Salut les voyageurs
    je vous ai croiser il y a... longtemps à Cerro Sombrero, en Patagonie, on cherchait en endroit abriter du vent pour planter notre tente ( ces touristes ...)
    Toujours sur la route ?
    J attend toujours la suite de votre odyssée.
    Bonne chance
    A+